|  Accueil   |  Précédent  |
Consulter les informations sur le livre : | Présentation | Préface | Extrait | Sommaire |

L'IMAGINAIRE CANCÉREUX

Bernard HERZOG
INTRODUCTION

 

Encore un ouvrage sur le cancer* direz-vous, vous qui êtes comme je le suis, blasé des idées reçues et des quêtes perpétuelles, tous sujets d'irritation trahissant l'actualité et l'organisation sociale. Elles ne conduisent malheureusement et souvent nulle part.

Rassurez-vous, bien que médecin hospitalier, officiellement responsable de l'enseignement des méthodes diagnostiques et thérapeutiques des cancers, je me situerai en l'occurrence en porte-parole des patients.

Le langage scientifique ne sera utilisé qu'au strict nécessaire. Le parler de tout le monde et non d'un cénacle devrait suffire, à quelques exceptions près.

Au lieu de décrire la maison de l'extérieur, ce que l'on effectue généralement en parlant des lézardes de la façade, je me propose de vous faire pénétrer dans l'intérieur. Nous irons voir bien souvent ce qui se passe à la cave au niveau des fondations de l'immeuble, qui sont à n'en pas douter, en relation avec l'état de la couverture.

Si cette dernière fuit, les dégâts des eaux endommagent d'abord l'étage avec ses pièces d'habitation (maladies psychosomatiques*) puis les années passant, le ruissellement finira par miner l'ensemble, en parvenant au niveau des fondations (cancers).

Je vous invite, à une série de témoignages avant de réunir toutes ces informations en une synthèse dont je n'ignore ni la présomption ni le caractère imparfait. Elle n'aura comme le souhaitait Claude BERNARD que l'utilité d'un bistouri que l'on jette après usage quand le temps est venu de passer à une autre méthodologie.

L'ensemble de l'ouvrage est construit à la manière des collages. Je m'étais fait une spécialité de cette technique en 1971, choisissant des papiers d'une grande intensité colorée, les assemblant dans des compositions très concentrées.

Le collage introduit la réalité d'une structure autre que celle issue de soi même, un journal, une teinte attrayante, le témoignage d'une autre vie. De la rupture et de l'opposition des surfaces chromatiques mises en résonance, jaillit une impression d'ensemble. Le vitrail en est le parent. La vie prend un éclat qui secoue le monologue et l'enrichissement obtenu rejoint les désirs de BRAQUE, MATISSE, nos prédécesseurs en la manière.

Les documents n'ont d'originalité que dans la mesure où l'observateur s'est lui-même soumis à l'épreuve rigoureuse et prolongée de l'exploration de sa propre intériorité.

Cette condition est nécessaire avant d'être le confident et le témoin.

Les faits observés à travers les instruments d'optiques particuliers que sont les structures mentales d'un médecin doivent être obligatoirement colorés par celles-ci.

La formation clinique seule m'était apparue insuffisante au cours de mes études médicales aussi l'avais-je utilement complétée à la Faculté des Sciences.

Il n'y a pas de lentilles ou d'optique sans aberrations périphériques * ou déformations. Aussi, vous voudrez bien à l'avance pardonner ce qui est inhérent à ma nature humaine. Je m'efforcerai d'apporter un témoignage incolore, voire cristallin.

Les physiciens contemporains n'ont-ils pas démontré que l'observateur influençait l'expérience ? La recherche de la vérité nous échappe sans cesse, mais, si l'humilité permet de limiter les illusions, elle ne doit pas briser l'élan créatif !

Essayer de vous donner une approche des relations de la Psyché et du Cancer est une gageure de nature himalayenne ! Mon illustre homonyme a pu le constater à ses dépens. On y sacrifie sa propre substance.

On pourrait dire au moyen d'une caricature, que FREUD nous a donné une série de clés pour l'étude des névroses *, C. G. JUNG une méthodologie pour la compréhension de la schizophrénie et des psychoses *.

Mais jusqu'à présent, la psychanalyse des cancers constitue une grande première, à l'instar de Nanga-Parbat, la montagne maudite et meurtrière *.

Les difficultés rencontrées sont énormes. Le fantasme* délirant est masqué dans la nuit noire des cellules derrière les rideaux successifs des organes et des tissus. Souvent, la pétrification mentale ajoute à l'impossible exploration, elle est en fait le principal obstacle ! Aussi, comme Jules VERNE, il me fallait rechercher la faille à chaque nouvelle rencontre, deviner et suspecter où pouvait commencer l'exploration du gouffre avant d'aller vers le centre de la Terre. Il y eut combien de fausses routes dans des puits borgnes...

Le rôle de détective est insuffisant. Il est nécessaire d'induire une prise de conscience chez l'interlocuteur par ses propres moyens. Il ignore en général tout de lui-même et ne suspecte même pas qu'il puisse exister un autre monde que celui de son champ de conscience.

Parfois, un éclair de voyance peut aider. Souvent, on se retrouve devant " une muraille de Chine " sans cesse reconstruite, réédifiée après chaque entretien, au fil des semaines et des mois.

Les mots ont des effets magiques sur les êtres. Certains les obligent à se barricader en eux-mêmes pour survivre et se défendre. Il est nécessaire de respecter les résistances et non les créer par un aveuglement spécifique. Parler de "Cancer" rend le dialogue impossible car le mot est "tabou".

Le mot déclenche des vagues d'angoisse.* Les années et les épreuves ont contribué pour l'auteur à effriter sa valeur passionnelle. La sérénité du thérapeute est la seule garantie pour son patient. Il la ressent et peut alors se confier.

Dans un ouvrage antérieur, je me suis efforcé de démystifier un autre terme tout aussi porteur d'anxiété et de rejet : la mort.

Les prémisses qu'il posait étaient nécessaires à celui-ci.

Notre époque a pour caractéristique deux formes très spéciales de pathologie :
- au plan mental : l'explosion des psychonévroses et surtout l'apparition de plus en plus fréquente des cas de schizoïdies voire de schizophrénies *.
- au plan somatique : les tumeurs sont une source d'angoisse collective, ainsi que les affections cardio-vasculaires.

N'est-ce pas là signe des temps?

La pathologie évolue selon les civilisations et les mythes régnants. Le cœur et la tête sont malades d'un Amour non réalisé, non intégré.

Un bon clinicien est un homme qui recherche la clé d'une énigme. Le docteur WATSON accompagne toujours SHERLOCK HOLMES ! Il ne diffère pas en cela d'un chercheur en sciences physiques ou chimiques. Mais la simplicité est un sommet aussi difficile à atteindre que l'Everest.

Elle nécessite un passage réussi des épreuves transmises par les contes et légendes depuis la nuit des temps. Les artistes, cinéastes, poètes nous les évoquent mais seuls ceux qui ont réussi les traversées avec succès peuvent lire, entendre et comprendre.

Les basiliques préromanes, telles que Saint-Martin du Canigou, étaient édifiées en terre. Elles faisaient suite aux nécropoles celtes, aux catacombes chrétiennes dans la nécessaire relation aux esprits des Morts. L'obscurité y régnait, propice aux contacts mystiques. Les nefs wisigothiques puis précarolingiennes ont déjà tendance à sortir de terre, à laisser passer un peu de lumière issue d'en haut.

L'art roman dont le terroir de Poitou-Charentes est si riche, nous enseigne un équilibre. C'est une époque de passage entre l'écoute et la vue.

Comme le germe de l'oreille précède l'ébauche oculaire dans l'organogenèse, le chant et la musique ont précédé l'issue hors des ténèbres.

L'évolution de la musique passera de la monophonie à la polyphonie, vers l'exubérance de l'orgue. Tandis que l'on perd l'écoute pour aller vers la civilisation de la vue, s'installe la confusion entre obéissance et soumission.

L'ère visuelle s'associe à la conquête de l'air. L'image devient reine, attire et séduit. La photographie, le cinéma, la télévision accompagnent l'Odyssée spatio-visuelle.

Un rêve d'une patiente nous a révélé la section de l'arbre sacré. D'autres nous l'ont confirmée depuis. Les hommes sont actuellement dans l'état d'un arbre tronçonné horizontalement soit au niveau de leur ceinture, soit au niveau de leur cou.

Les prêtres cultivaient en secret au cœur du temple, loin des regards profanes le Symbole le plus secret de Sumer - 4000 ans avant l'ère chrétienne -.

"L'homme et le monde ne sont ni les contenus de Dieu ni ses images : ils sont ses créations... En cela résidait le sens caché de l'emblème de plus secret de SUMER, l'Arbre d'Éridu, puis le KISH : le KISH KANU ". (Jean-Charles PICHON p. 116 "L'homme et les dieux" Maisonneuve réédition 1986).

La schize s'est installée il nous semble, lorsque l'équilibre de l'art roman a cédé la place aux envolées gothiques. La lumière ne pénétrait jusqu'alors dans les basiliques qu'avec parcimonie et mystère. Les nefs sorties de terre s'iriseront des couleurs sacrées en un sens initiatique, organisées et assemblées par les maîtres verriers.

Les nefs gothiques auront plus de lumière encore. Les chapelles modernes sont presque des temples de verre, hélas elles ont perdu les messages symboliques. Leur laideur est le reflet des imperfections de leurs créateurs. Le sens sacré n'existe plus dans les vitraux abstraits.

L'architecture suit l'évolution intérieure des hommes, comme les œuvres d'art expriment la maturation des créateurs, ou leurs difficultés à vivre.

Le reflet des valeurs terrestres, celles de l'Amour courtois, et de la Femme, est vécu comme un interdit, un anathème sacrificiel recréé sans cesse dès le jeune âge. Les prêtres sacrificateurs - ou les parents déjà amputés dans leurs corporéités - induisent par des IMAGO* inconscientes, des réalités hélas très concrètes.

...