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L'OR DES CENDRES

Bernard HERZOG
Chapitre premier

Une femme choisit de vivre avec son cancer,
ce qui exige une nouvelle
attitude médicale

 

" Chaque homme porte la forme
entière de l'humaine condition
."
MONTAIGNE

 

Pour un cancérologue de formation classique, ce fut une bien curieuse demande que celle de Yannez à l'automne de l'an I', alors que son cancer du sein devait évoluer déjà depuis dix-huit mois.

" Docteur, je viens, adressée par l'un de vos confrères, pour une tumeur mammaire.
J ai vu ce mal emporter toutes mes amies.
Je suis une femme responsable, militante, et je ne voudrais pas finir mes jours comme elles grâce à la chimiothérapie ou à une mutilation opératoire ! Quant aux rayons, ils m'ont été conseillés un peu partout, je n'en veux pas plus !

Voyez-vous, j'ai fait le maquis pendant la guerre et vous savez ce que cela veut dire, quand on voit tomber chaque jour l'un ou l'autre de ses amis ! Non que l'on devienne insensible à la douleur humaine et à la cruauté, mais cela rend un peu plus adulte et plus lucide dans ses décisions ! "

Le discours était sévère. Il avait l'accent des grandes épopées, celles qui ne laissent pas indifférents à la dignité humaine.

" Responsable dans des organisations syndicales, employée de la Sécurité Sociale, puis dans des organisations dérivées, j'ai vu bien des drames, assisté à bien des tragédies.
Ma vie ressemble aux existences des êtres démunis, pauvres, obligés de se battre sans cesse pour vivre.
La devise de notre famille était : "Marche ou crève !"
Aujourd'hui, Docteur, je sais que je vous demande quelque chose d'impossible, mais je n'en peux plus de porter seule le fardeau. "

Yannez m'avait été adressée en consultation par un ami homéopathe, excellent clinicien, qu'elle consultait. Il connaissait ma double formation d'analyste et de cancérologue.

J'avais bien observé, au cours de ma carrière médicale, une foule de faits concernant la vie affective et émotionnelle des malades. Chacun d'entre eux constitue un monde. Je me trouvais confronté à une personne désireuse d'échapper au sort commun des cancéreux. Comme elle avait lutté contre l'envahisseur dans le maquis, elle voulait trouver une autre issue, une autre médecine. J'essayai d'éluder sa requête qui paraissait d'autant plus délicate que je n'avais effectué moi-même que dix-huit mois de psychanalyse. Je pensais être loin du terme. J'étais trop conscient des problèmes psychologiques des cancéreux depuis une vingtaine d'années, pour ne pas prêcher à mon propre guide sa prise en charge. Elle me semblait capitale pour l'avenir de la médecine.

J'en avais une si vive intuition que je parvins à ébranler le Dr Roland Cahen1.

>Les moyens matériels de Yannez étaient très limités. Ne faisait-elle pas vivre sa mère et ses filles avec un salaire modeste? Aller à Paris, s'y loger chaque semaine, sans même parler d'honoraires médicaux, constituait une impossibilité matérielle.

Parallèlement pour obvier à des critiques ultérieures de médecins mal intentionnés, je lui avais demandé de consulter, rue d'Ulm, un vieil ami chef de service à la Fondation Curie.

Le cancer ne faisait aucun doute, ni cliniquement, ni sur les mammographies. Bien m'en prit, car, plusieurs années plus tard, un autre spécialiste du sein au renom international, aujourd'hui disparu, devait contester publiquement l'authenticité de ce cas... et combien d'autres essayèrent de me persuader qu'ils possédaient de semblables dossiers !

Je revins lourdement à la charge auprès du docteur Cahen...

J'avais, au cours de ma carrière de clinicien, réuni environ une quinzaine de cas cliniques évidents. Je les lui avais exposés pour lui montrer le lien direct entre l'apparition de la tumeur et la symbolisation d'un fantasme non exprimé ou non réalisé par le patient. Il ne l'ignorait pas, du reste.

Le déclenchement de certaines tumeurs suivait un choc affectif ou émotionnel. Le mécanisme était évident, et, somme toute, de plus en plus admis par les cliniciens les plus ouverts.

Par contre, personne n'avait encore essayé un traitement non matérialisé par la pharmacopée, les agents physiques ou l'intervention chirurgicale.

Oser affronter le mal par le seul dialogue et le présumé travail intérieur de l'inconscient réagissant de son malade, activé par celui du thérapeute, pouvait passer à juste titre pour folie aux yeux de mes confrères. C'était bien pourquoi je préférais que le Président fondateur du mouvement Jungien en France en prît la responsabilité !!!

Il devait me répondre : " Faites-lui d'abord enlever le sein, faites-la irradier, ensuite vous me l'adresserez. "

Yannez revint de Paris déçue, me posant à nouveau le problème d'une prise en charge thérapeutique sans faux-fuyants.

Le parcours proposé par R. Cahen était exactement ce qu1elle refusait ! Elle avait observé les ravages des interventions itératives sur ses amies. Elle avait vu les méfaits de la chimiothérapie ; aussi ne désirait-elle pas suivre le même chemin. Je lui exposais tous les risques qu'une autre démarche pouvait rencontrer, mais aussi les avantages certains des méthodes officielles.

Le dernier trimestre de l'année m'avait apporté un contingent de fatigue et de contrariétés. Je me sentais physiquement faible, et indécis.

Je lui demandai de me laisser trois semaines de réflexion, avant de lui donner réponse.

J'attendais un signal, une indication de mes rêves. J'espérais que la méditation en montagne me permettrait de prendre le recul nécessaire avant de me décider. Je savais, depuis toujours, retrouver mon calme intérieur dans la nature. Les difficultés de ma vie s'y trouvaient relativisées et la voie intérieure beaucoup plus puissante.

On ne retrouve l'équilibre et la vue claire des choses qu'après une vie physique intense en pleine nature. L'exercice musculaire donne au corps le loisir d'éliminer les déchets de plus en plus nombreux en nos civilisations urbaines polluées. La désintoxication porte aussi sur toutes les formes de penser et d'agir quotidiennes. Le corps reprend un peu de vie et le vide s'effectue de lui-même dans nos cervelles encombrées.

De toute façon pensais-je, avant toute Grande Aventure, toute nouvelle conquête, il faut une veillée d'armes et trouver de l'aide auprès d'instances mystérieuses qui président depuis toujours aux destinées humaines.

Mon intuition m'avait renseigné dès le premier entretien. C'est pourquoi j'avais été si affirmatif auprès du docteur Cahen :

" Prenez-la en charge et vous la guérirez, l'intuition ne se trompe pas. "

" Oui, m'avait-il répondu après l'avoir reçue. Si on n 'en guérit qu'une, ce sera elle, car elle est de taille à faire le chemin, je vous rejoins sur ce point."

Yannez réclamait une révolution médicale si impressionnante qu'elle relevait du délire aux yeux de certains. Mon cœur était prêt, mais la raison restait souveraine. " Il n'y avait rien à perdre " disait un conseiller intérieur. "La vie n 'appartient qu'à ceux qui osent", ajoutait-il !

Je ne connaissais que trop mes élans, mes passions pour les dernières nouveautés scientifiques. Un gouvernement à entraîner est chose délicate, surtout pour un Capricornien trois fois régi par l'austère Saturne, lequel exige de l'homme les plus hautes conquêtes sur lui-même !

La demande de Yannez réclamait un courage hors du commun. Je sentais, sans qu'elle l'exprimât par des mots, ses propres interrogations, ses folles angoisses, contenues avec une extrême difficulté. Elle était à bout de forces, je lui évitais toujours d'avoir à me le dire.

Je ressentais de l'admiration pour la dignité dont elle faisait preuve. Cette rencontre m'interrogeait. Bien des hommes me paraissaient être des pleutres comparés à cette femme !

Je décidai de l'éprouver néanmoins un peu. Je ne pouvais lui demander d'attendre longtemps ni de continuer seule à assumer sa lutte.

" Vous me demandez, lui dis-je, d'effectuer l'ascension de l'aiguille du Dru (Chamonix) par la façade nord sans même savoir ce qu'il y a de l'autre côté. " Il s'agissait bien d'une escalade dont je mesurais toutes les difficultés. En même temps, quelque chose d'enivrant s'éveillait chez cette femme et en moi-même... d'avoir à effectuer pareille aventure!

La vie ne vaut la peine d'être vécue que si nous avons à nous confronter à des difficultés himalayennes, et à les vaincre ! L'homme se forge dans les combats les plus périlleux.

Si nous avions des difficultés colossales devant nous, la vie n'aurait que peu de sens. Autant retourner tout de suite à nos langes !

Yannez réclamait une thérapeutique nouvelle, créative, non industrialisée, ni banalisée comme celle qui ne pose aucun problème, puisque tout est prévu à l'avance. N'importe quel manuel en décrivait les programmes thérapeutiques dans les moindres nuances.

Le système de couverture sociale imposait ce genre de prise en charge industrialisé, robotisé, tandis que le chemin que nous avions à effectuer n'était pas remboursé et n'offrait aucune garantie de réussite.

Mais, de façon générale, est-il possible d'assurer une guérison certaine avec une quelconque thérapeutique !

Si on raisonnait comme tout le monde... rien de nouveau ne risquerait jamais de survenir !