Parler des rêves et du cancer suppose une connaissance
des songes. J'avais pensé que ce phénomène
naturel était connu de tous, or il n'en est rien ! Depuis
que les Zacores ont quitté les temples d'Epidaure, de Cos
ou d'Ephèse, un voile dense et lourd de barbarie s'est
progressivement interposé entre l'homme et les dieux, Asclépios,
en l'occurrence, et son caducée.
Tout le monde rêve !
Certains de mes visiteurs reçoivent seulement des messages
oniriques la veille de notre rencontre ; d'autres ne semblent
pas garder mémoire de leurs songes, mais, très rapidement,
les rêves vont éclore comme des fleurs entre les
pavés de leurs routes par trop rationnelles.
Le thérapeute est un "activateur" de l'activité
onirique ; sinon, il endort, et laisse les problèmes en
sommeil..., notamment ceux du cœur. Il n'ignore pas que la voix
du cœur n'est autre que l'œil de l'âme ; aussi s'efforce-t-il
d'accorder les impératifs du sentiment et ceux de la logique.
Les rêves ont fasciné les hommes de toutes les époques.
Dans l'antiquité, princes, rois, et pharaons accordaient
aux experts onirologues une place majeure. En Egypte, dans les
"Katochés", s'effectuait un travail sur les rêves,
et, probablement, plus tôt encore en Chine ou dans diverses
civilisations orientales.
Pour les Anciens, l'inconscient est habité par des dieux.
Par l'intermédiaire de certaines personnes que l'on a appelées
des médiums, ils s'expriment, et conseillent ceux qui mènent
le peuple, voire chaque sujet.
Si on en prend conscience, on peut devenir un initié.
Le rêve apporte des messages
de l'autre monde.
Nous vivons entre deux univers : le champ de conscience dans
lequel nous sommes à l'instant présent, et cet autre
monde, de la nuit et du sommeil. Nous avons trop tendance à
l'ignorer.
J'ai assisté, il y a près de vingt ans, à
une veillée sous les baobabs, dans une petite contrée
d'Afrique. Le soir, les Noirs venaient raconter leurs rêves
à deux vieux initiés. Les histoires de conflits
avec papa ou maman prédominaient. Les rivalités
entre sujets étaient souvent très colorées.
Ils trouvaient en ces vieillards une oreille attentive et souvent
des conseils judicieux qui maintenaient l'ordre social et l'intégrité
de l'ethnie.
Certains rêves présentaient un message pour la tribu,
voire pour l'espèce humaine en général.
Il y a de petits et de grands rêves : ils ont tous leur
importance.
Les véritables difficultés surgissent avec l'interprétation.
Si l'on envoie un signal électrique sur une cavité
de résonance, le son produit est bien différent
entre une enceinte de grande qualité et un assemblage de
quincaillerie à bon marché. Mais, sans vacuité
intérieure, le signal n'est pas perçu. Si l'enceinte
est pleine, rien ne paraît.
Si le thérapeute a une grande qualité de résonance,
et s'il sait résonner et non pas raisonner, l'écoute
est possible. S'il est inféodé à des théories,
à un savoir livresque et non à un vécu initiatique,
il ne peut en saisir la "substantifique moelle".
Son intelligence, ses dons d'observation, d'association, sa mémoire
et ses facultés de synthèse sont ici essentiels.
Sa créativité est une grâce.
Le rêve nous invite à la connaissance de la voie
du cœur et des émotions, un monde intuitif et sensible.
Il correspond très exactement à l'univers des poètes
et des artistes, de l'éternel féminin, qui vit aussi
bien dans les hommes que dans les femmes, car nous sommes tous
hermaphrodites.
A l'inverse, la raison cartésienne mène les machines
à vapeur, les engins électromécaniques, mais
n'a pas accès au monde sensible des émotions et
de la vie affective.
Une infirmière devait, un jour ancien, me confier qu'elle
m'avait rencontré dans un songe :
" Je vois une rampe à gaz ronde comme un anneau. Je
vous aperçois, vous avez une allumette et vous allumez
le gaz. Au-dessus, dans un triangle de flammes, apparaît
une très belle fleur. Elle possède un grand œil.
"
Le véritable guide est celui qui allume la rampe à
gaz... ou les réverbères, comme un visiteur me le
confirmera quelques années plus tard.
Le gaz est volatil. Le rêve constitue le "volatile", la
"manne céleste" des Hébreux. C'est là un
élément indispensable pour traverser le désert
aride de la raison, et échapper à la condition d'esclave.
Comment voir clair en nous-mêmes et dans notre vie ?
Nous avons tous un ange gardien, un conseiller semblable à
Merlin l'Enchanteur. Il se tient à notre disposition. Si
nous lui prêtons l'oreille, il nous adressera des messages.
Notre travail consiste à les décoder et, ensuite,
à agir selon ses conseils, car il ne suffit pas de les
comprendre. Ils ressemblent à l'énigme du Sphinx
: on peut passer sa vie sans les déchiffrer. Souvent les
hommes gardent en mémoire des rêves datant de trente
ou quarante ans. Comme du vieux vin auquel ils n'ont pas goûté,
ces songes les ont marqués. Ils n'ont pas été
compris ; aussi, ces personnes sont-elles restées bloquées
dans une épreuve, un conflit, et leur vie en a souffert.
Toute analyse mentale reste inopérante dans ce domaine.
Il faut allumer la rampe à gaz, pour essayer d'atteindre
la "substantifique moelle".
L'intégration des rêves varie selon le niveau d'évolution
auquel l'initié est parvenu, mais elle dépend aussi
de ses dons et de son inspiration. Elle seule importe. Les pierres
abondent en chemin. Les paysages intérieurs que certaines
roches livrent nécessitent une ouverture et un polissage
appropriés.
Si l'on projette un rayon de lumière sur un prisme, à
la sortie de ce dernier il diverge. Si le guide est névrosé,
il ne constitue pas un milieu isotrope parfaitement transparent,
sa vue d'un événement donne un morcellement kaléidoscopique.
L'unité devient pluralité et le sens disparaît.
C'est la pureté intérieure du thérapeute,
au sens de la plus haute spiritualité, qui lui permet d'entendre
les messages sans les déformer
Il doit, naturellement, faire abstraction de toute relation sexuée,
ou de puissance, s'il ne veut pas faire obstacle à l'intégration.
Nous savons que tous les instruments d'optique ont leurs limites,
et qu'en périphérie d'une lentille, par exemple,
les aberrations ou les distorsions sont plus fréquentes.
Si le guide est trop rationaliste ou borné, il peut être
vécu comme un "poinçonneur de tickets de métro".
Il ne guidera nulle part. Les malades devraient s'en rendre compte
tout de suite. Nous connaissons tous de nombreuses personnes ayant
un passé de dix, voire de quinze ans de psychanalyse...
En général ils n'ont pas commencé le travail,
car ils n'ont jamais œuvré sur leurs rêves. Leurs
guides sont vécus comme des bureaucrates et non comme des
voyants..., ce qui explique l'essor contemporain des cartomanciennes...
et aussi leurs nuisances.
La démarche d'intériorité constitue une
exception.
Ce sont les dieux intérieurs ou les Esprits qui désignent
le futur initié et l'obligent à accepter sa mission.
Elle lui apparaît relever souvent de l'impossible, ou être
bien au-delà de ses forces.
Déchiffrer les messages de nos rêves constitue la
voie royale et merveilleuse d'une initiation intérieure.
Les dieux parlent ainsi à leurs sujets, du moins les Esprits.
On ne devient pas thérapeute comme on va acquérir
à l'école un diplôme de médecin ou
d'avocat... Ces démarches conscientes sont déterminées
par des projections inconscientes qu'il faut bien identifier pour
s'en abstraire.
Il y a toujours des motivations cachées derrière
le choix d'une profession, la passion pour une cause, ou le fait
de s'amouracher d'un être.
Une doctoresse me confiait : " C'est bizarre ; dans notre
Faculté, le cardiologue et son agrégé ont
eu un infarctus, le rhumatologue vient à l'hôpital
sur des cannes, l'ORL n'entend pas et l'ophtalmologiste ne voit
pas clair. Ils n'ont jamais compris qu'ils sont allés chercher
en médecine les raisons de leurs problèmes inconscients
! Les étudiants en psychologie sont submergés de
difficultés existentielles ! La situation est bien pire
encore en psychiatrie. "
L'accouchement ne s'effectue pas par la tête, excepté
pour Athéna et Jupiter mais bien par les voies naturelles
!
Il faut "vider la marmite", nous conseillaient les disciples
de Lao Tseu ou du Bouddha : or, elle est souvent devenue une fosse
d'aisance... Le récurage du chaudron intérieur exige
des années. Il correspond aux purifications de toutes les
traditions mystiques. Les philosophes hermétiques du Moyen
Age appelaient cette démarche intérieure le "rosaire".
Les musulmans et les chrétiens l'ont nommé l'alchimie
: la chimie de Dieu.
Cette mystérieuse "cuisine intérieure" fait de
nous autre chose que des animaux ou les fanatiques d'une idéologie,
d'une doctrine ou d'une religion mal assimilée.
Parler de "cela" à notre époque n'est pas en odeur
de sainteté et est même qualifié par certains
psychiatres de "délire", tellement le Grand Inquisiteur
veille.
Jésus disait :
" Les pharisiens et les scribes
ont reçu les clefs de la connaissance
et ils les ont cachées.
Ils ne sont pas entrés à l'intérieur,
et ceux qui veulent entrer,
ils les en empêchent.
Vous, soyez attentifs comme le serpent
et simples comme la colombe."
Evangile de Thomas - Logion 39
Les prêtres comme les passeurs n'exercent plus leur rôle
d'herméneute.
Il est de mauvais goût de dire que tous les chamans et
les sorciers sont initiés par leurs rêves, ce qui
est pourtant la vérité.
Les songes répètent inlassablement à chacun
de nous ce qu'il doit faire. Pendant vingt-cinq ans je m'y suis
moi-même refusé. Je ne voulais pas m'occuper de ces
problèmes, me refusant à traverser ce que je ressentais
être la "fosse aux serpents". Les rêves m'y ont contraint,
au prix d'une multitude de somatisations. C'est là une
façon habituelle de nous contraindre. Les serpents mythiques
opèrent toujours, malgré le triomphe d'Apollon à
Delphes, qui symbolise celui de la raison solaire sur les ophidiens
ténébreux. Ils initient à la sagesse éternelle.
Un prix Nobel de neurophysiologie a montré que les Japonais
fonctionnent avec le cerveau gauche. Celui-ci représente
le territoire de la mère c'est le cerveau logique. Il assure
l'intendance, la survie matérielle nécessaire. Il
nous ancre dans une réalité, mais en ignore totalement
une autre.
On retrouve la même situation en Occident excepté
chez ceux qui sont en recherche d'intériorité par
une autocritique permanente de leurs propres faits et gestes,
de leurs attitudes et propos quotidiens.
Ces deux façons d'utiliser nos fonctions cérébrales
sont radicalement opposées.
Si le sujet n'utilise que sa raison, il se dessèche,
se pétrifie, devient obsessionnel ou paranoïaque.
Inversement, un être complètement immergé
dans la voie humide peut devenir halluciné, être
hypersensible et délirant aux yeux des rationalistes.
Ces deux formes de connaissance constituent les deux colonnes
du temple. Le champ de conscience éveillé se situe
au-delà de ces opposés, dans un juste équilibre.
La médecine rationnelle a fait, en vingt ans, des progrès
colossaux, mais elle ignore toujours, et de plus en plus, l'accès
symbolique et sensible du sujet. C'est pourquoi les malades se
plaignent de n'être ni entendus ni compris.
La médecine nouvelle doit associer le domaine sensible
et émotionnel à celui des connaissances scientifiques
L'expérience nous oblige à constater que les Chamans
décèlent spontanément certaines lésions
par la voie directe, sans intermédiaires.. Malheureusement
le chamanisme est partout en voie de régression, qu'il
s'agisse des Curandéros en Amazonie, des Dukuns à
Bornéo, Sulawasi ou Java. Au cours des voyages chamaniques,
le Chaman peut agir sur l'état de conscience du sujet et
lui permettre d'avoir des images de son propre corps ou d'une
autre personne présente ou à distance. Nous devons
avoir l'ouverture d'esprit et l'honnêteté d'admettre
les faits. Leur intégration est difficile car ce sont des
cas d'exception, et nous devons changer d'outils intellectuels,
pour reprendre les termes de Claude Bernard.
Les habitués des finesses de l'imagerie radiologique feront
la "fine bouche", car la précision des images qu'ils décrivent
n'est pas toujours suffisante à leurs yeux. Dans les pays
du tiers monde, les chamans constituent une nécessité
pour des millions d'hommes dont la pauvreté s'oppose à
l'acquisition des technologies occidentales.
Celles-ci possèdent aussi leurs limites et leurs effets
nocifs. Elles sont si onéreuses que le produit national
brut leur serait bientôt totalement consacré si une
pondération ne venait limiter l'industrie médico-pharmaceutique.
Les énormes apports de la physique appliquée permettent,
d'après les chiffres, de répondre à l'importante
demande en Occident.
Les angoisses existentielles décuplent les indications
et les consultations inutiles, elles ont développé
un secteur de consultations "parallèles" dont l'importance
ne peut plus être ignorée.
J'ai connu, en abordant la psyché des cancéreux,
les sarcasmes et l'opprobre de certains confrères.
Devant la juxtaposition des rêves et du cancer, certains
médecins n'ont pas manqué de hausser les épaules
car ils ignorent tout du monde onirique, ce qui crée le
malentendu et instaure l'opposition stérile.
En relisant la préface du Paragranum du Dr Théophraste
Paracelse, dont les œuvres médicales viennent d'être
rééditées après plus de quatre cents
années, j'ai trouvé un certain réconfort
dans divers chapitres, notamment le troisième traité,
consacré à l'alchimie :
" Ne vous laissez pas détruire par les petits médecins,
barbiers, rebouteux et tondeurs, qui veulent jouer les grands
et puissants médecins, qui bavardent et qui écrivent
beaucoup, vantardises vaines et vides. On dirait les psalmodies
des nonnes qui chantent leurs psaumes, qui poussent la chanson
et qui ne savent ni a ni b.
Les médecins font de même : ils crient, ils poussent
la chansonnette, et sur dix pages, comme les nonnes, ils saisissent
tout juste un mot par ci par là.
… Ils cherchent seulement à persuader. "
Rappelez-vous : la formule du benzène est due à
Auguste Kékulé Von Stradonitz. Comment s'associent
entre eux les six carbones de ce composé organique ? Un
rêve l'a expliqué à Kékulé.
Il avait vu le serpent Ourobouros se mordre la queue... il a ensuite
imaginé la formule hexagonale suggérée par
le songe.
De même, Von Esmarch a trouvé la solution aux hémorragies
dans un rêve.
Lorsque Poincaré ne pouvait résoudre un problème
de mathématiques, il attendait le lendemain matin la solution
au réveil. Combien de fois un rêve, quelques jours
avant une conférence, me suggère de commencer d'une
certaine manière. Je me vois dans la salle face au public
et... je dois l'avouer, beaucoup plus drôle dans les rêves
que je ne le suis en général dans la réalité,
au point d'éclater de rire en pleine nuit de mes mots d'esprit
!
Tous les physiciens ou scientifiques de
haut niveau savent comme les poètes et les artistes, qu'il
ne faut jamais considérer ses rêves avec mépris.
S'il est fou de s'enliser dans un matérialisme étroit
et très bureaucratique, il faut être tout aussi aliéné
pour croire qu'avec les rêves on va trouver la solution
de toutes choses sans le moindre effort.
La pondération entre les oppositions des contraires est
représentée par le mythe chrétien de la croix.
Nous sommes tous crucifiés entre ces deux attitudes fondamentales.
Seul un troisième terme, c'est-à-dire une voie
située au-delà de la dualité, permet d'accéder
à l'équilibre.
Il y a dix années que les faits relatés dans cet
ouvrage m'ont autorisé à sortir des rails confortables
de la médecine officielle. Une femme était venue
me consulter sur les conseils de son médecin, en proie
aux angoisses, pour un cancer apparu dans son sein.
" J'ai vu mourir toutes mes amies dans des conditions effroyables,
eh bien non ! Je ne veux subir ni rayons, ni mutilation chirurgicale,
et surtout pas de chimiothérapie. Comme j'ai dit non aux
Allemands, j'ai tiré le coup de fusil contre eux dans la
poche de St.-Nazaire, milité à la Sécu, à
l'URSAFF. Je ne veux pas être achevée par les rayons,
le bistouri ou les agents chimiques ! "
C'est son histoire que je relate dans ce livre. Il fait suite
à deux ouvrages parus en 1986 :
" La mort, l'amour et les rêves " :
trace au lecteur le chemin de conversion et d'amour qui consiste
à se laisser guider par les matériaux oniriques,
lesquels s'avèrent des germes d'humanité, des traces
de spiritualité, qui peuplent notre mémoire collective.
Le mythe chrétien mal intégré conduit aux
comportements sacrificiels inconscients.
" L'Imaginaire cancéreux " :
s'efforce d'ouvrir le dossier du corps souffrant de cancer.
En cas de conflit, où est l'importance : dans l'exigence
de la conscience ou dans l'autorité énigmatique
du corps bafoué, nié ou simplement ignoré
?
Le cancer interroge la science et les médecins : comment
sortir des conformismes ? Les matériaux recueillis au cours
de psychanalyses de cancéreux apportent une contribution
fondamentale à l'étude de cette maladie et des problèmes
de notre civilisation.