Origène n'était pas tendre avec les prêtres qui
répètent leur bréviaire sans en livrer le sens
spirituel : " Ils distribuent les noix, sans briser la coquille et
les enfants se cassent les dents. Ils ne sont pas entrés dans
l'amande - dans le noyau du message."
L'art de la maïeutique est resté une entité mentale
non spirituelle, aussi devient-il un simulacre comme tous les rituels
pétrificateurs.
L'or des cendres montre indirectement le travail du passeur
qui éveille progressivement le champ de conscience dans le sens
d'une profonde ouverture initiatique aux choses de l'Etre et de l'Esprit.
L'art de l'herméneute devait naître en moi en réponse
à la demande de Yannez1 alors que sa tumeur mammaire
avait environ dix-huit mois d'évolution, plus peut-être.
Six ans plus tard alors que je désirais raconter cette grande
aventure, je voulus demander conseil à Jean-Claude, un ami cancérologue
de renom international. Je lui avais confié l'observation clinique.
Avant de me mettre à la tâche j'avais besoin de ses impressions.
Il fit remarquer avec beaucoup de finesse que je m'étais totalement
désincarné dans la narration.
"Ce qui paraît étonnant, c'est de constater ta disparition,
comme si tu étais un fantôme idéalement transparent
dans la vie de cette femme I Tu analyses et tu rends clair, dans le
récit, ce qui se passe chez la patiente, mais ce qui m'intéresserait,
en tant que lecteur, c'est précisément ce qu'il y a derrière
le masque du psychanalyste !"
Il m'offrait en somme de tenir un autre
pari jusqu'ici totalement tabou ! Il me suggérait de décrire
au lecteur placé dans une position d'observateur, ce qui se passait
derrière le masque du malade cancéreux mais également
derrière celui du médecin !
Cela revenait à demander des précisions sur une relation
privilégiée et mystérieuse entre deux êtres.
" Il faudrait un autre ouvrage pour tenter de répondre à
cette interrogation fondamentale, lui dis-je, je le réaliserai
après le témoignage qu'il me semble urgent de publier."
Tandis qu'il me parlait, je me remémorais avec précision
un tableau de Magritte. Le thérapeute y paraissait sous une forme-enveloppe
un manteau et un chapeau sans l'homme lui-même ! L'artiste exprimait
à sa façon le sentiment que venait d'énoncer mon
ami.
Je m'étais gommé, effacé du récit clinique.
J'avais voulu reconstituer un pur cristal de roche, oubliant que la
description, comme les faits mentaux, est colorée par la structure
de celui qui les reçoit et les décrit.
Le lecteur, non averti des relations existant entre le psychanalyste
et son patient, se pose bien des questions concernant ce couple étrange.
S'il est de formation catholique, il est en droit d'imaginer quelque
chose de semblable à la confession de jadis, à ceci près
que cela se passe, non dans une église, derrière des croisillons
de bois, mais bien en général dans une pièce feutrée
où prend place un divan de légende.
Rien de tout cela, et à la fois toutes ces projections selon
les usages de chaque passeur !
L'analyste peut parler ou se taire. Le mieux, à mon sens, est
d'agir selon chaque cas et chaque instant différemment selon
un sentiment éveillé. C'est un travail dans lequel il
faut sans cesse une intuition parfaitement ouverte, peser chacun de
ses mots et de ses attitudes. C'est pourquoi il est souvent d'usage
de ne rien dire !
L'idéal est de laisser opérer le "double". Il sait mieux
ce qu'il convient de faire ou de dire.
Pareille situation exige bien des épreuves, la démission
du petit "moi" prétentieux, jacasseur et tracassier, laissant
le pilote diriger, pour un temps, le navire.
Voilà une attitude qui requiert une grâce exceptionnelle
! Chacun se sent toujours bien léger devant l'immensité
de la tâche.
Cette histoire pourrait à elle seule exiger plusieurs ouvrages,
aussi me limiterai-je à l'essentiel, pour préciser le
rôle du guide, ou du passeur.
L'oiseleur est tout cela à la fois, mais aussi le gardien des
oiseaux incluant une dimension spirituelle qui le différencie
précisément des états précités.
"L'oiseleur et le cancer de l'Amazone" fait suite à "L'or
des cendres" consacré à cette rencontre de deux êtres.
Cette odyssée s'achèvera après avoir déchiffré
l'énigme de la Caverne, au sein de la Terre Mère.
Ces deux ouvrages font naturellement suite à "L'imaginaire
cancéreux" dont ils constituent à la fois l'illustration
et le développement logique. Il répond à l'interrogation
formulée par les malades et leurs médecins sur les possibilités
thérapeutiques qu'ouvrent ces nouvelles considérations
anthropologiques et cet Art médical différent. L'oiseleur
révèle la dimension spirituelle de cette maïeutique.
Les rêves du guide y trouveront leur place, pour répondre
aux interrogations justifiées des cancérologues soucieux
d'élucider les raisons de leur propre vocation.
Il dévoile l'apparition dans
l'inconscient du thérapeute d'interrogations fondamentales posées
par le malade. Le développement du travail se poursuit alors
sous de nouveaux cieux, un monde différent renaissant des cendres
d'un passé mortifié.
Au début de ma psychanalyse auprès du Dr R. Cahen j'avais
réalisé une grande toile la laissant de côté
neuf mois avant de la terminer et de la lui offrir.
"Voici votre effigie, du moins celle qui a présidé
à notre relation.
La réalisant et intégrant son "signifié" je m'exorcise
par la même occasion de vous-même. Elle constitue un terme
du moins, un préliminaire à ma liberté retrouvée."
"Le chat-man permet de remonter le temps jusqu'à la conception
de l'être pour le faire renaître." lui dis-je en lui
remettant l'œuvre.
Contrairement aux peintres mondains, ou à ceux qui décorent
les bâtiments, je m'étais toujours interrogé dans
mes tableaux et recherches picturales. Je partais au hasard, laissant
les vents pousser ma chaloupe, pour examiner longuement le sillage,
comme font les cartomanciennes pour déchiffrer l'avenir dans
le blanc d'œuf ou le marc de café.
N'étais-je pas tenu à un témoignage qui pourrait,
peut-être, aider la connaissance scientifique, sinon un humanisme
moribond ?
On ne peut tout dire, mais un peu doit suffire en première approximation.
Le clinicien est dressé tel un chien de chasse, à humer
l'air, à l'affût de la tumeur ! Ainsi j'avais découvert,
traité, irradié et enseigné ces maladies selon
les normes officielles.
Alors que je traçais les champs d'irradiation, tandis que je
calculais les taux de transmissions, je ne pouvais m'empêcher
d'aller plus loin dans ma quête.
Les malades ressentaient-ils peut-être une plus grande disponibilité
à être entendus ? Ma jovialité aidait aux confessions
ou mon scalpel verbal aussi acéré qu'un instrument chirurgical,
démasquait-il par d'habiles interrogations la vie même
des êtres ? Doit-on l'identifier à l'asticot rongeur des
charognes selon la conception védique des UPANISHAD ? Sa signification
symbolique rejoint la conception du chaman-vautour, des indiens.
Bien souvent en réponse à mon sourire le malade me faisait
savoir que je l'avais affectivement touché. Souvent je lisais
son approbation sur son visage. Derrière la muraille, la flèche
avait porté par une ouverture dérobée, parfois
même la grande porte s'ouvrait ! J'avais prononcé inconsciemment
les mots qui ouvraient le passage. Hélas, aussitôt prononcés,
aussitôt oubliés ! Selon mon humeur, j'étais plus
ou moins performant dans ce dialogue aussi difficile que les exercices
acrobatiques.
La Faculté ne m'avait pas armé pour ce genre d'investigations
mais ma sensibilité naturelle m'y prédisposait.
Enfant, je parlais aux arbres et je communiquais sans avoir besoin
des mots avec les animaux.
Si on veut pénétrer dans les profondeurs de la vie, saisir
les mystères qui nous animent, il n'y a d'autre chemin que de
suivre sa propre destinée. Cet affrontement au monde est l'essence
même d'une existence, sa réalisation, tant sont violentes
les impérieuses nécessités qui nous animent.
Le vent conduit les graines à ailettes des frênes là
où, en apparence, il le désire. Leur forme spécialement
calculée par le génie de la Nature assure la diffusion
des germes de l'arbre comme si ce dernier avait connaissance de la rose
des vents !
Laissons-nous aller à ce qui crée les cycles et les saisons
et suivons les alizés intérieurs en nous efforçant
de nous réaliser au mieux, les nôtres et la société
en profiteront.
Lâcher les idées reçues, le mode de penser universitaire
que je propageais, sans même m'en rendre compte, devait me demander
des efforts que, seuls, peuvent apprécier ceux qui l'ont réalisé.
C'est un peu comme si j'étais en haut d'une montagne, rivé
à un arbre par mon angoisse de tomber dans un passage difficile
et que mon guide intérieur, momentanément extériorisé
peut-être sous la forme d'un analyste, m'eût déclaré
: "Mais cher ami, lâchez donc votre tronc d'arbre, vous ne
risquez rien ! Ce qui vous empêche de voler c'est votre étreinte
désespérée à cette béquille- là."
Rien de plus pénible pour un rationaliste universitaire en effet
! La vie courante ne me donnait que trop de raisons quotidiennes de
m'arrimer un peu plus à la vieille souche devenue un autre cordon
ombilical, dans une tourmente constante, où je lisais la pétrification
lente et inéluctable des êtres fixés dans une semblable
posture.
Pour réaliser ce livre je me sentais tenu de révéler
en partie ce qui se passait derrière le masque du thérapeute.
Ce genre de strip-tease mental qu'adorent certains littéraires
toujours prêts à parler de leurs états d'âme
me semblait totalement impudique et déplacé.
L'honnêteté scientifique m'y obligeait, alors qu'il est
classique de répéter que le médecin ne doit pas
dévoiler ses émois pour ne pas nuire à l'évolution
de ses patients.
Si l'on saute dans une rivière pour essayer de sauver un être
en train de se noyer, il ne fait aucun doute que l'on risque sa vie.
Il en est de même dans ce parcours à deux, très
semblable à celui du guide de haute montagne.
Le médecin court le danger de voir se réveiller en lui-même
les dragons endormis. Certains sont habités par les démons
de leurs visiteurs... Ainsi peuvent-ils se sauver en lui faisant don
des esprits pervers qui les incarcèrent...
L'équilibre mental reste pour tout être aussi fragile
que sa santé corporelle.
On le verra par la suite, dès les premières rencontres
avec Yannez, une série de rêves de cancers devait éclore
chez moi : ils nécessitaient des intégrations urgentes.
L'inconscient du visiteur inter-réagit avec celui de son guide.
C'est du reste la raison profonde de l'efficacité éventuelle
de semblables démarches.
Je ne me décidais pas à la légère dans
cette terrible aventure, mais j'ignorais que le chaman attire sur lui
la négativité et les maladies de l'autre. Ces démons
exigent du sang et s'il ne résout pas ces interrogations subtiles
l'oiseleur risque fort de connaître le même sort funeste
que celui auquel il pense pouvoir apporter de l'aide.
Il n'a d'ailleurs pas le choix, ce devoir sacré lui incombe
et s'il ne l'accepte point de gré, c'est de force qu'il lui faut
apporter un peu de baume aux souffrances humaines.
Enfin que le lecteur me pardonne l'apparente richesse exubérante
semblable aux forêts amazoniennes de textes où les rôles
de divers acteurs se succèdent dans le même personnage
: la richesse de l'inconscient est sans limites.
Ce qui peut parfois sembler du vagabondage n'est en fait que la vie
de l'Esprit venu de nulle part, cheminant apparemment où bon
lui semble sans les avenues gréco-latines tracées à
la règle, qu'il emprunte aussi le cas échéant.